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I. PRÉFACE (ARCHIVE DU F.O.R)

I. PRÉFACE

En contraste avec la dégradation réactionnaire de l'Internationale Communiste, l'Opposition de Gauche, qui fut à l'origine de la IVe Internationale, exprimait la continuité idéologique et organique de la Révolution, de la même manière que les groupes internationalistes de 1914 face à la corrosion patriotique de la social- démocratie. Il incombait de surcroît au mouvement trotskiste une tâche nouvelle, hérissée d'obstacles: assurer la lutte internationaliste contre la paix des blocs militaires dans le prolongement de l'opposition révolutionnaire à la guerre. Le défaitisme révolutionnaire, si admirablement revendiqué en 1914-18, par Karl Liebknecht devant un tribunal militaire allemand, et par Lénine dans "Contre le Courant", devait être mené jusqu'à son ultime aboutissement : le triomphe de l'homme sur le capitalisme et la guerre. Il fallait donc formuler, en tant que revendications immédiates, les mesures politiques et économiques susceptibles de débarrasser le monde des armements et des armées, du labyrinthe des nations, du système industriel et politique basé sur la marchandise-homme. Mais les clercs qui se sont emparés de la direction de la IVe Int. après l'assassinat de Trotski ne surent même pas s'accrocher à l'ancien défaitisme marxiste, qui figurait pourtant dans leur programme, et ils souillèrent leur drapeau dans les résistances nationales.

D'autre part il devenait indispensable de reconsidérer la tactique traditionnelle, qui datait de la Commune de Paris et de la Révolution russe, ainsi que certains aspects déterminés de la stratégie, afin de les adapter aux importants changements survenus depuis 1917. En effet, le recul thermidorien de la révolution russe, commencé vers 1921 (N.E.P. = Nouvelle Politique Économique), se paracheva plus tard en contre-révolution capitaliste d'État. Et, grâce en premier lieu à cet événement, le capitalisme en général a perpétué et accru son potentiel exploiteur d'une manière toujours plus centralisée et préjudiciable aux hommes.
Ce même processus entraîna une modification radicale de ce que furent les partis communistes, faisant d'eux, non des organisations opportunistes ou des laquais ouvriers de la bourgeoisie, mais des représentants directs d'une forme particulière du capitalisme, celle qui est intrinsèque à la loi de concentration des capitaux, loi connexe à l'automatisme de la société actuelle, et, en Russie, délibérément mise en avant. À leur tour les syndicats, qu'ils soient dominés par le stalinisme ou indépendants de lui, se sont accommodés sans cesse davantage du système d'exploitation dont ils semblent être désormais inséparables.

Cependant, le prolétariat mondial subissait une série de défaites que rien jusqu'à présent n'est venue interrompre. Ce que de faux amis lui présentent comme ses victoires, Chine ou Cuba, Algérie ou Ghana, ne sert qu'à le démoraliser, à le rendre inerte, et à le laisser à la merci de ses ennemis. Ces victoires étant en réalité celles de certains cercles capitalistes face à d'autres, représentent pour le prolétariat autant de défaites; c'est le poids matériel de la contre- révolution russe qui les a rendu possibles, mais non sans que l'avant-garde révolutionnaire, prisonnière de ses propres idées, lui ait laissé libre cours. Plus que jamais, "la crise de l'humanité est une crise de direction révolutionnaire", comme le disait Léon Trotski. Ceux qui continuent de se dire trotskistes ont échoué, par une ironie tragique, dans les eaux fangeuses du stalinisme.

De la lutte contre la dégénérescence de la IVe Int., sont nées la plupart des idées et des propositions contenues dans le Manifeste ci-après. Quelques-unes des modifications idéologiques énoncées remontent au moment le plus aigu de la Révolution espagnole, 1936-37, alors que pour la première fois en dehors de la Russie, le stalinisme révélait toute sa nature contre-révolutionnaire : en comparaison celle d'un quelconque Kerenski ou Noske semble à peine malfaisante. Pour cette raison entre autres, il est devenu indispensable de connaître à fond les péripéties de la Révolution espagnole, si falsifiées ou à tout le moins dénaturées, même dans des livres comme celui de P. Broué et E. Temine (Note 1).Elle clôt une étape du combat et de la pensée du prolétariat international et en ouvre une autre. Ses enseignements serviront à éclairer un futur renouveau de l'agressivité des opprimés.

Les organismes dirigeants de l’IVe Int. n’avaient pas encore trouvé le temps de prendre en considération la riche expérience de la Révolution espagnole, que déjà, à l'occasion de la deuxième guerre mondiale, ils donnaient des signes d'un manque d'internationalisme dont les implications dernières allaient être la stérilité idéologique et le rapprochement avec le stalinisme. Non seulement la Révolution espagnole, mais les graves événements de la guerre et de l'après-guerre défilèrent devant eux sans autre conséquence que d'accentuer leur ineptie.

Dès les premiers symptômes de dégénérescence idéologique, le groupe espagnol au Mexique de la IVe Internationale, s'éleva vigoureusement contre elle, en même temps qu'il entreprenait un ample travail d'interprétation des événements mondiaux et de la Révolution espagnole en particulier (Note2). Sourds et obtus, ces organismes dirigeants empêchèrent les critiques, les informations et les propositions de parvenir à la base dans tous les partis, excluant ainsi délibérément toute possibilité de discussion.
Au premier congrès de l'après-guerre, en 1948, la section espagnole rompait avec l’IVe Int., après avoir dénoncé son abandon de l'internationalisme et son cours pro-stalinien. Peu de temps après et sur les mêmes bases, s'est aussi séparée d'elle Natalia Sedova Trotski qui, depuis 1941, avait été auprès de nous (Note 3).

Depuis l'anéantissement de la Révolution espagnole, la situation du prolétariat mondial s'est sans cesse aggravée. Toujours invité à appuyer des causes réactionnaires présentées comme libératrices, idéologiquement escroqué jour après jour et dans tous les pays, ce prolétariat se trouve bâillonné et enrégimenté dans des organisations esclavagistes. L'humanité tout entière, du seul fait qu'elle subit passivement la terreur thermonucléaire d'au-delà et d'en deçà du rideau de fer, vit une situation dégradante telle que, faute de s'en débarrasser, tout devenir l'avilira encore. Ainsi la société capitaliste, à qui la guerre des classes et la guerre entre nations sont consubstantielles, atteint le degré de son développement où sa simple continuité détruira l'homme, à moins que l'homme ne la détruise.

Clé de la rébellion de l'humanité, la rébellion du prolétariat face au capital et au travail salarié est seule capable de retourner une situation aussi basse, et d'allumer les feux du rêve révolutionnaire, facteur historique matérialiste entre tous.

Mais les idées concrètes de la Révolution russe, telles que le "Programme de transition" les reprend, sont loin de suffire à un tel dessein. Écrit par Trotski en 1937-38 alors que la signification de la période qui ouvre la défaite de la Révolution espagnole ne se dessinait pas encore nettement, ce "programme" se révèle aujourd'hui plus qu'insuffisant, bon à favoriser les opportunismes face à la contre-révolution stalinienne et à ses filiales. Il est caduc, de la même manière qu'en 1917 l'était le programme antérieur de Lénine. A moins de le dépasser, en tenant compte de l'expérience et des conditions objectives créées par la rotation du capital, ainsi que des possibilités subjectives du prolétariat dans le cas d'une pleine agitation révolutionnaire, celui-ci n'obtiendra nulle part la victoire et tout mouvement insurrectionnel sera écrasé par les faussaires.

Le présent Manifeste qui inspire notre activité en Espagne et à l'échelle internationale, est destiné à obvier à cette carence idéologique. Nous nous adressons à tous les groupes et organisations de par le monde, qui ressentent également la nécessité de la révolution socialiste, tant dans le bloc oriental que dans le bloc occidental. Nous les invitons à étudier les idées ici exposées. La renaissance d'une organisation prolétarienne à l'échelle mondiale exige la rupture avec de nombreux atavismes, et une pensée constamment inventive. Nous sommes disposés à discuter publiquement tout ce que nous exposons, avec tout groupe dont l'activité pratique et théorique montre son attachement à la Révolution. Mais nous dédaignerons ceux où le dilettantisme domine, même s'ils prétendent partager, totalement ou partiellement, nos idées.

L'idée révolutionnaire "n'est pas une passion du cerveau, mais le cerveau de la passion" (Karl Marx) et en tant que telle, elle réclame tout autre chose que de petits jeux littéraires ou des protestations mentales. Tout dilettantisme est une réverbération du monde contre lequel nous nous battons.

Nous devons rappeler que certaines parties de ce Manifeste ont été publiées en 1949 sous le titre "Le Prolétariat face aux deux blocs" et, sous la responsabilité d'un groupe appelé Union Ouvrière Internationale, dont l'existence fut éphémère. Mais la version succincte d'alors, de même que celle-ci, sont dues pour l'élaboration idéologique et la rédaction à Benjamin Péret et à G. Munis en tant que militants de Fomento Obrero Revolucionario, dont l'origine fut la section espagnole de la IVe Int. En 1936 en pleine révolution, à Mexico toujours sous la menace des assassins de Staline, puis en Espagne à nouveau défiant la répression franquiste, Benjamin Péret n'a cessé un seul instant de combattre avec nous. Nous tenons à souligner ici l'apport de Benjamin Péret, l'ami, le révolutionnaire-poète, dont l'accent transparaîtra, ici et là, au cours de la lecture de ce Manifeste.





(1) P. Broué et E. Témine, La Révolution et la Guerre d'Espagne.
(2) Rappelons entre autres les travaux suivants : Le Socialist Worker's Party et la Guerre impérialiste, par le groupe susdit ; Les révolutionnaires devant la Russie et le stalinisme mondial de G. Munis ; Le Manifeste des Exégètes par Benjamin Péret ; Jalones de Derrota: promesa de Victoria (Espagne 1930-39) par G. Munis ; Lettre ouverte au Parti Communiste Internationaliste, Section française de la IVe Int. Par Natalia Sedova Trotski, B. Péret et G. Munis ; Raison et agissements du Secrétariat International par G. Munis ; Explication et appel aux militants, groupes et sections de la IVe Int. par le comité de la section espagnole.
(3) Nous tenons à la disposition de ceux qui les demanderont la lettre de rupture et la réponse injurieuse de la IVe Int., ainsi que la dernière déclaration écrite de Natalia Sedova Trotski.   
Ci-jointes en annexes : Aujourd’hui comme hier 


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